Histoire des horticulteurs de Touraine
De quoi se composaient les composts utilisés ? Y avait-il des secrets ?
Chaque plante avait son compost. Les chrysanthèmes en pot de 8 n'avaient le même que celles en pot de 12. On faisait des tas différents qui étaient mélangés 3 fois à la pelle. Les composts n'étaient pas secrets (certains horticulteurs le pensaient), mais comme leurs ouvriers mangeaient ensemble ils se racontaient leur travail de la journée. Chez Ledeux il n'y a jamais eu de secret.
L'engrais était constitué de "cornoséine" (corne broyée), de poudre d'os et de sang séché. Même pendant la guerre la "cordoséine "qui nous venait d'Amérique du Sud nous parvenait. A cette époque on ne mettait jamais d'engrais aux bruyères, ce qui se fait actuellement. Il faut dire que les mélanges de terre sont différents. Les composts arrivent prêts, reste à l'horticulteur de mettre l'engrais qu'il juge le meilleur pour la plante qu'il veut cultiver. Le compost était fabriqué à partir de ressources locales. On allait ramasser des feuilles de chêne à l'automne. Elles étaient ensuite finement broyées. La terre de bruyère nous arrivait en mottes de la région de Noyant, à la limite de Sarthe et chaque horticulteur faisait "sa petite soupe" lui même. Pour les chrysanthèmes on avait besoin d'une terre plus lourde, on mettait de la terre franche qui venait de St Symphorien, de la bonne terre à blé. L'hortensia n'en voulait pas du tout, il y avait une affaire de PH, d'acidité de la terre. La tourbe n'était pas utilisée, elle était remplacée par la terre de bruyère. Terre qu'il fallait aller chercher dans les bois, le camion était chargé et déchargé à la fourche. Le sable de Loire nous était ramené de St Genouph par un marchand de charbon de La Riche. A cet endroit il y avait dans le lit de la Loire, des veines de falaise. Tout le bouturage se faisait avec cette falaise. On appelait le sable de Loire, falaise parce que c'était très fin. Cela donnait un bouturage exceptionnel.
Vous nous avez beaucoup parlé des hortensias ?
Tout le monde sait très bien qu'ils doivent être bleus pour être beaux, il y avait-il un secret?
Il faut vous dire que l'hortensia bleu n'existe pas. Leurs couleurs naturelles sont le blanc et le rose. Pour le faire virer au bleu on additionnait au mélange de l'alun qui avait pour principe de le faire bleuir. Là c'était un compost spécial. Quand vous voyez un hortensia mauve c'est qu'il a "mal pris" son compost. Lorsque nous vendions un hortensia bleu nous devions garantir qu'il avait été traité avant. Dans certaines régions le bleuissement est lié au terrain, en particulier à la présence d'ardoisières.
Pouvez-vous nous donner des indications sur le contenant : le pot ?
Le pot était en terre. Il y avait, rue Robespierre, près de l'avenue de Grammont, la poterie Dubois qui a été détruite pendant la guerre. Elle fournissait tous les pots aux horticulteurs locaux. Après les pots de terre venaient de la Haute Vienne. Jusqu'en 1950 ils arrivaient par wagon. Alors il fallait décharger 10 tonnes de pots, les mettre dans un camion et le redécharger dans l'entreprise ce qui représentait un travail important. Après il y a eu le conditionnement en palettes et le transport direct. La SNCF a alors perdu les clients de l'horticulture. L'établissement leduex produisait 80% de ses ventes. 20% provenaient de Belgique. Plus en avance que nous ils ont utilisé les premiers des pots en plastique. Nos clients acheteurs pour le détail nous demandaient alors de changer ces pots pour des pots en terre. Nous avons eu alors une période assez difficile mais après cela s'est normalisé. Il a fallu aussi une adaptation du personnel parce que l'arrosage dans le pot en plastique n'est pas le même que dans le pot de terre qui lui va s'imbiber de l'eau alors qu'avec le pot en plastique il fallait faire très attention.
Dans le même temps les composts se sont modifiés, ils sont devenus plus poreux car avec le même compost que dans les pots en terre nous aurions eu des problèmes d'asphyxie de racines. Cette évolution a posé des problèmes. Avec les pots en terre, il y avait aussi un problème de poids. Quand on remuait toute la journée les pots de 16/17 de chrysanthèmes, parce qu'il fallait les préparer, les grouper par nombre de fleurs, on avait un mois d'octobre très très chargé. Les camions partaient tous les matins sur Paris et il fallait que chaque soir les pots soient nettoyés, les plantes ficelées, le nombre de fleurs marqué.
Pouvez-vous nous donner quelques indications sur l'évolution des prix ?
Proportionnellement je trouve que les chrysanthèmes sont vendus beaucoup moins chers. On trouve des plantes superbes à 40F. Beaucoup de chrysanthèmes à petites fleurs viennent tout seuls et l'éboutonnage qui prenait beaucoup de temps n'est plus nécessaire. Il y a peut être actuellement un renouvellement dans la grosse fleur… Le tuteurage voilà quelque chose qui a bien changé. Il y avait un tuteur central et un tuteurage branche par branche. On ramassait les branches tout autour, on formait une araignée. C'était un gros travail qui n'existe plus. Ils mettent un filet en plastique quand la végétation est au deux tiers et tout tient tout seul. Les tuteurs étaient en bambou ou en bourdaine. Les expéditions se faisaient en paniers de 70 fabriqués en osier qui venaient de Chouzé. Nous étions livrés par camion. Ce fabricant nous faisait des tuteurs en bourdaine. Les chrysanthèmes étaient attachés avec des joncs. on faisait tremper les bottes tous les matins et on tricotait chaque branche avec du jonc. par la suite nous avons eu le raphia synthétique. Le tuteureur avait cela dans une petite poche en plastique attachée à la ceinture. C'était plus simple mais il manquait le doigté. Le tuteurage avec du jonc entrait dans le CAP d'horticulteur.Y avait-il dans les serres Ledeux un endroit réservé à l'innovation?
Nous n'avions aucune expérimentation. A l'époque l'horticulture était une affaire de rendement, de commerce. Il n'était pas question de faire de la recherche, ce qui prend beaucoup de temps.
Notre entreprise servait de modèle pour les écoles car elle était réputée pour son sérieux et sa propreté. Il n'y avait aucun dépotoir, aucune cache de plantes malades et aucun brin d'herbe dans les pots. L'école de Versailles venait nous visiter tous les ans. Nous étions en bon terme avec tous les horticulteurs de Tours, il n'y avait aucune concurrence cachée. Le centre horticole était beaucoup plus important qu'il ne l'est maintenant.